La deuxième moitié du XIXème siècle voit apparaître de grands artistes peintres d’un genre nouveau. En effet, ces artistes sont en rupture avec l’académie classique et, pourtant respectées et adorées aujourd’hui, leurs œuvres sont contestées et rejetées par la société du 19ème siècle. A cette époque, la mode est aux représentations mythologiques, historiques et figuratives alors que ces « révolutionnaires » préfèrent s’intéresser aux paysages. Sans chercher à représenter la pure réalité, ils souhaitent, par l’étude des couleurs et de la lumière, capter et retranscrire l’impression furtive laissée par le paysage observé. C’est la naissance de l’impressionnisme.
Compté comme l’un des plus célèbres fondateurs de ce courant, Claude Monet (1840-1926) est un artiste peintre normand qui a peint entre 1868 et 1869 (peu avant l’ouverture du Salon des Indépendants, où seront exposés les premières toiles impressionnistes en 1874) l’objet de notre étude, La pie. Cette œuvre, refusée au Salon de 1869, sera très critiquée ; elle était sûrement trop innovante. De taille moyenne, 89 cm de hauteur et 130 cm de long, c’est une huile sur toile ; elle est aujourd’hui conservée au musé d’Orsay à Paris dans la collection permanente.
La pie représente un paysage enneigé normand, près d’Etretat ; Monet peint donc ici dans un milieu qui lui est familier. Rappelons que les impressionnistes comme Monet sont parmi les premiers peintres à se rendre et à peindre directement devant le paysage, en plein air. Monet voit donc la même scène en peignant que celle que voyons sur le tableau et il ressent pleinement le froid que le tableau nous inspire : grâce aux nouveaux tubes d’étain qui permettent de transporter la peinture, Monet peut réellement peindre au cœur du paysage.
Cette œuvre est composée, structurée suivant 3 plans que nous allons détailler. Au premier plan, des traces de pas nous amènent devant une maigre clôture faite de frêles branches de bois, qui résiste difficilement au poids de la neige amassée sur son sommet. Au second plan, en passant la porte de cette barrière, nous semblons arriver dans le jardin d’un quelconque campagnard dont on distingue, derrière des arbres nus, le logement divisé en deux maisons. Celles-ci sont grandes, simples, sans fenêtre, sûrement composées d’un rez-de-chaussée et d’un étage au maximum, elles paraissent vides : la scène se situe en plein hiver et, vu l’épaisseur de la couche de neige, il doit faire très froid ; pourtant aucune des deux cheminées sur le toit des maisons ne fume. Perchée sur la porte de la clôture, la seule présence vivante de cette peinture est la pie, d’où le nom du tableau. Sans cette pie, qu’on ne remarque d’ailleurs pas au premier coup d’œil, ce paysage nous donnerait le sentiment d’être désert. La pie crée une certaine dynamique dans le tableau : placée sur une ligne horizontale, elle délimite en effet la séparation entre le premier et le deuxième plan. Le terrain d’habitation est en pente douce, les maisons paraissent plus basses que la clôture. Nous voyons bien qu’il n’est pas cultivé, en effet les arbres nombreux dans le terrain sont répartis de manière désordonnée. Le dernier et troisième plan de la peinture commence à partir de la trouée que forment les arbres du jardin sur la gauche du tableau et nous présente une large étendue vallonnée et désertique (cette fois-ci sans végétation) couverte d’un ciel nuageux. La neige est omniprésente dans le tableau.
On voit bien ici, qu’outre l’étude de la perspective, ce qui intéresse l’artiste est le jeu des lumières, des couleurs et l’impression de l’œil. On reconnaît par ailleurs la technique impressionniste par la manière dont le peintre a laissé visibles les traces du pinceau, par ces fameuses et épaisses « touches » de peinture. Pour la réalisation de son œuvre, Monet joue du contraste entre des couleurs claires et des couleurs sombres. Il utilise effectivement des couleurs froides, principalement du bleu : par exemple, l’ombre, facteur important de la réalisation du tableau, n’est plus traitée en nuances de gris comme chez les artistes académiques mais prend des tons bleutés, chose qui provoquera l’émoi du public et des critiques de la fin du 19ème siècle. « La rue Le Peletier a du malheur, écrira ainsi le critique Albert Wolff dans Le Figaro d’avril 1876. Après l’incendie de l’Opéra, voici un nouveau désastre qui s’abat sur le quartier. On vient d’ouvrir chez Durand-Ruel une exposition qu’on dit être de peinture. Le passant inoffensif entre et à ses yeux épouvantés s’offre un spectacle cruel. Cinq ou six aliénés, dont une femme, s’y sont donné rendez-vous pour exposer leurs œuvres. Il v a des gens qui pouffent de rire devant ces choses-là, moi, j’en ai le cœur serré. Ces soi-disant artistes s’intitulent les Intransigeants, les Impressionnistes. Ils prennent des toiles, de la couleur et des brosses, jettent au hasard quelques tons et risquent le tout ».
Parallèlement, Monet emploie des couleurs plus chaudes telles le brun des arbres du terrain et des branches constituants la barrière, et surtout les tons ocre qui reflètent la lumière sur la neige. Aussi ce contraste omniprésent entre ombre et lumière montre que Monet ne souhaite pas figer la scène, bien au contraire, il tente de capter des reflets, des instants pour rendre sa peinture vivante. Nous sentons bien qu’à chaque instant ce paysage se modifie, indéfiniment. Pour avoir pris comme sujet un paysage en neige, nous pouvons voir que Monet souhaitait réellement étudier les variations de la lumière et l’utilisation des couleurs pour capter et transcrire ces dernières sur sa toile, car le reflet de la lumière sur la neige a l’effet connu d’être indéfiniment variable. Ainsi Monet ne s’intéressait pas vraiment au paysage et à la scène en elle-même mais plutôt à l’étude des lumières et des couleurs sur le paysage.
Après cette étude, nous pouvons conclure que cette œuvre préfigure les recherches du courant impressionniste par l’application des couleurs, le choix de ces dernières mais surtout la volonté de l’artiste d’étudier les effets de lumière dans un univers (paysage en neige) qui s’y prête parfaitement.